L'Art a toujours été pour moi un chemin à part, une voie parallèle permettant de prendre du recul sur la vie. S'éloigner du circuit commun, c'est prendre conscience de certains aspects de la vie, à l'instar du Bouddhisme qui prône la pleine conscience pour un accès à une réalité renforcée. L'Art est la prise de conscience d'un certain courant invisible, sa formalisation et son partage au plus grand nombre. À l'heure où nos sociétés modernes ont perdu la foi en tout, où la déconnexion avec le vivant est de plus en plus importante, où l'humain ne connaît plus sa place dans l'univers, il est bon de se replonger dans des courants de pensées millénaires qui ont su guider l'humanité à travers les âges. Ceux-ci apprennent à respirer, à manger, à éduquer, à vivre ensemble, à utiliser la Nature sans l'épuiser... Je souhaite devenir à la fois un ambassadeur de ces enseignements universels pour améliorer notre relation à la vie, mais également une sorte d'art-thérapeute, qui à travers des mots, saura soigner le mental, l'un des étages d'une colonne à trois niveaux. Lorsque le mental, le corps et l'énergie sont alignés, une harmonie avec le principe vital est retrouvée, une vie en société est à nouveau possible, et 80% des maladies n'ont plus lieu de se déclarer. Cette facette yang rejoint l'autre partie plus yin de mon projet global, c'est à dire le réalignement physique d'une personne à travers les massages, l'alimentation et les mouvements.
Ma première rencontre avec le Vietnam en 2006 a été un réel choc culturel et le début d'un changement de paradigme. Une autre lecture du monde s'offrait à moi et allait engendrer une métamorphose progressive de mon mode de pensée. J'allais désormais être amené à comprendre la vie du point de vue du Taoïsme et à penser ma relation au monde et aux autres à travers les enseignements Bouddhistes. Plusieurs années de vie quotidienne à Hanoï à cotoyer une culture aux multiples facettes, à rencontrer des gens de tout milieu, et à s'approprier les traditions et surperstitions locales, allait sceller définitivement mon destin à ce pays.
J'ai toujours été fasciné par les lettres, moins par le dessin. Depuis l'âge de 15 ans je dessine des lettres. D'abord pour l'amour de leurs lignes, de leurs cassures nettes, du mouvement que l'on peut insuffler en elles, de l'humeur que l'on peut leur prêter, elles sont une matière brute à laquelle on peut injecter une âme. J'ai ensuite cherché à marier ces lettres pour en faire des mots, peu importe la signification, il y avait là une envie d'associer des formes, de jouer avec les courbes et contre-courbes, de moduler les compositions, de créer des vides et des pleins, des collages et des fractures, parfois même de les personnifier. C'est depuis quelques années seulement que la phrase émerge chez moi comme un besoin d'exprimer des idées. La forme et la composition ont toujours leur importance car elles soutiennent le propos du texte mais cette fois les mots ont pour vocation de pénétrer l'esprit. Mettre à profit les formes qui ne sont qu'un moyen de transmettre une intention. L'écriture possède cette spontanéité que le dessin peine à retrouver. Elle est la base car se contente souvent de traits uniques. Elle est énergie brute car ne se retouche pas et la mode n'a que peu d'emprise sur elle. Elle renferme l'âme de celui qui la trace.
Qui n'a jamais trouvé fascinant les idéogrammes chinois, lesquels en peu de traits peuvent exprimer quantité de concepts. L'ancienne écriture vietnamienne en sinogrammes, le Chữ nôm, employait des caractères comparables jusqu'à ce qu' Alexandre de Rhodes, prêtre jésuite français, missionnaire en Cochinchine et au Tonkin, mette au point en 1651, la première transcription phonétique et romanisée de la langue vietnamienne, le Quốc ngữ. À l'image du Hangeul (alphabet coréen), cette retranscription monosyllabique simplifiée, facilita l'apprentissage de la langue écrite qui autrefois était réservée aux lettrés. Pour nous, occidentaux habitués aux lettres latines, le Quốc ngữ constitue une passerelle infiniment précieuse donnant accès à une langue non dénaturée, toujours largement empreinte de termes très anciens. Il n'est d'ailleurs pas rare de trouver des mots calligraphiés en lettres latines, d'une apparence identique aux sinogrammes d'autrefois. Une graphie différente pour une présence et un esprit identique. Ayant perdu ses idéogrammes, contrairement à la Chine et au Japon, la calligraphie vietnamienne a dû créer sa propre école de pensée en conservant une forte dimension spirituelle ainsi que sa tradition du respect de l’instruction et du savoir. Elle a su se libèrer des normes drastiques de la calligraphie chinoise pour arborer une apparence plus créative. La calligraphie était un moyen de déterminer les qualités d'un mandarin. Aujourd'hui les maîtres sont toujours capables de comprendre votre caractère et votre personnalité en fonction des lettres que vous tracez.
En dehors de l'aspect purement décoratif, il est coutume que les citoyens demandent des mots aux maîtres calligraphes, principalement lors du nouvel an lunaire. Ces rouleaux calligraphiés serviront d'amulette pour apporter telle ou telle qualité à une personne ou une famille. Il en va de la supertition qui consiste à croire au esprits mais aussi de cette croyance qu'un mot lu chaque jour peut réussir à influencer le mental et à faire évoluer une situation. C'est cet aspect particulier qui m'attire. Pouvoir aider l'autre avec une simple intention. L'intention et l'attention sont des facteurs importants dans nombre de philosophies et médecines. La personne qui offre un mot émet une intention précise, fait un don énergétique, partage une pensée positive, à l'égard d'une autre personne qui se trouve dans une situation de blocage. L'esthétique du mot va inciter à sa contemplation hebdomadaire, sa signification va initier un changement du mental. Tel un sutra, la lecture régulière de cette phrase la transformera en sonorité énergétique qui agira directement sur l'interne. L'émetteur du mot a également une grande importance car c'est lui qui donne la valeur au mot. Si le médecin ne croit pas à ce qu'il prescrit, le patient n'y croira pas non plus et le médicament n'aura pas l'effet escompté. Le mot est un support au même titre que la parole ou que le regard, il a le pouvoir de créer ou de détruire. Le calligraphe se met à l'écoute de l'autre afin de trouver le mot le plus à même de répondre à son besoin. On est très proche d'une relation patient/médecin.